Puis un jour, au réveil, pas d'appel. Pas de punition, pas de marche vers l'usine. Les gardes sont partis dans la nuit. Quelques heures plus tard, ce sont les Russes qui arrivent. Ce même jour, la guerre s'achève. Ephraïm, hébété, amaigri, sans famille, sans ami, sans rien pour le rattacher à sa vie d'avant, décide de partir au loin. Il fera sa vie, comme tant d'autre, en Palestine où, dit-on, des juifs construisent un pays. Là-bas, il fera tous les métiers. Pour un homme du bâtiment, l'ouvrage ne manque pas. Il se trouve une fille et l'épouse, lui fait cinq enfants, installe son entreprise, mais il lui manque quelque chose. Alors un jour qu'il reste tout seul dans son atelier silencieux, que les ouvriers sont partis, il prend une décision. Alors que déjà, sa vie d'homme lui fait peu à peu oublier les kapos, les punitions, la puanteur et les humiliations quotidiennes, il n'a rien oublié de son horloge, il n'a pas oublié un angle, pas un rivet, pas une dent d'engrenage. Courbé sur le laiton, lime en main, Ephraïm, enfin, se met à construire son horloge. Au bout d'un an et demie, à la surprise de sa famille, il a terminé. Elle mesure une quarantaine de centimètres de haut sur vingt de large et une quinzaine de profondeur. C'est une solide machine bâtie pour durer. Ephraïm Katzenberg, ce matin, la met en branle, et le tic-tac-tic-tac retentit. Les aiguilles partent en sens inverse et font trois tours du cadran en quarante-sept minutes vingt-deux secondes, avant de tomber par terre avec le reste des pièces. Oui, ben horloger, c'est un métier.
